Les plus-values foncières en Région wallonne

31 octobre 2017

Le CoDT a récemment introduit en Région wallonne une nouvelle taxe sur les bénéfices résultant de la planification, qui est un peu le pendant budgétaire l'indemnisation des moins-values.

Avant de résumer les traits essentiels de cette taxe, il est utile de rappeler que la loi fiscale n'ignorait évidemment pas, avant cette nouvelle taxe, les plus-values foncières. 

L'impôt des personnes physiques 

Même lorsque le contribuable ne dépasse pas le cadre de la gestion normale de son patrimoine privé, le Code des impôts sur les revenus frappe, entre autres, les plus-values réalisées, à l'occasion d'une cession à titre onéreux, sur des immeubles non bâtis situés en Belgique, pour autant qu'il s'agisse de biens qui ont été acquis à titre onéreux et qui sont aliénés dans les huit ans de la date de l'acte authentique d'acquisition (art. 90, 8°, du C.I.R.). L'impôt est établi au taux de 33 %  lorsque les biens auxquels les plus-values se rapportent ont été aliénés au cours des cinq années suivant leur acquisition, et au taux de 16,5 % lorsque les biens ont été aliénés entre cinq et huit ans après leur acquisition.

La base imposable s'entend alors de la différence entre les deux termes ci-après:

1° le prix de cession du bien ou, si elle lui est supérieure, la valeur vénale qui a servi de base à la perception du droit d'enregistrement, ce prix ou cette valeur étant, le cas échéant, diminués des frais que le contribuable justifie avoir faits ou supportés en raison de l'aliénation du bien;

2° le prix pour lequel le bien a été acquis à titre onéreux par le contribuable ou, si elle est supérieure, la valeur vénale qui a servi de base à la perception du droit d'enregistrement, étant entendu que le prix d'acquisition:

a) est majoré des frais d'acquisition ou de mutation et des impenses qui, à défaut d'éléments probants, sont fixés à 25 % du prix d'acquisition, le prix ainsi majoré étant augmenté de 5 % pour chaque année écoulée entre la date d'acquisition et la date de constatation de l'aliénation;

b) est diminué, le cas échéant, de l'indemnité perçue en exécution de la législation organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme.

L'impôt des sociétés 

Toutes les plus-values réalisées sont en principe imposable. Le taux de principe actuel de l'Isoc est de 33,99 %. Une réduction de ce taux est annoncée. Lorsque le terrain constitue, comptablement, une immobilisation corporelle (et non un bien de stock) - ce qui suppose que la société ait préalablement considéré le bien comme devant être affecté durablement à son activité - la société peut prétendre à une immunisation temporaire de la plus-value réalisée si elle veille à remployer dans un certain délai le prix de réalisation du bien dans une autre immobilisation corporelle ou incorporelles, amortissable (art. 47 du C.I.R.). Cette dernière condition exclut donc que le remploi s'effectue dans la propriété d'un autre terrain, puisqu'un terrain ne se déprécie par le simple écoulement du temps, et n'est donc pas amortissable. En revanche, les droits réels immobiliers (usufruit, emphytéose, superficie) ont une durée maximale (30 ans pour l'usufruit quand il est détenu par une société, 99 ans pour l'emphytéose et 50 ans pour le droit de superficie), de sorte qu'un remploi dans un droit réel pourrait en revanche satisfaire à la condition susdite. En cas de remploi, la plus-value est alors taxée de façon étalée sur la durée d'amortissement du bien acquis en remploi.

À côté des plus-values « réalisées » qui se traduisent pour la société par la disparition du bien et son remplacement par une autre valeur (prix en cas de vente, actions en cas d'apport, autre bien en cas d'échange...), les sociétés sont aussi, en principe, imposées sur les plus-values de réévalation qu'elles enregistrent dans leur comptabilité. Les plus-values de réévaluation peuvent (ce n'est pas une obligation) être comptabilisées lorsque le bien a la nature comptable d'une immobilisation et que, en fonction de son utilité pour la société, sa valeur présente un excédent certain et durable par rapport à sa valeur comptable. Ces plus-values de réévaluation doivent être portées et maintenues à un compte « plus-values de réévaluation » du passif du bilan, et y être en principe maintenues jusqu'à la réalisation du bien. La loi fiscale permet d'exonérer ces plus-values qui ne sont pas réalisées, mais simplement exprimées. La société doit veiller à cet effet à respecter la condition dite d'intangibilité qui consiste à veiller à porter la plus-value à un compte distinct du passif du bilan (condition qui est normalement déjà satisfaite si l'on a veillé à respecter ses obligations comptables), et à ne pas prendre en considération cette plus-value pour déterminer la dotation à la réserve légale, ni surtout les rémunérations attribuées.

La taxe wallonne sur les bénéfices résultant de la planification

Les Régions ne pourraient pas établir d'impôts sur les plus-values « réalisées » ou « exprimées », au sens défini ci-dessus. La matière imposable est déjà occupée par le législateur fédéral ; une Région qui établirait un impôt sur la même matière s'exposerait à une annulation par la Cour constitutionnelle. La Région wallonne, à l'instar de sa voisine du Nord avant elle, a donc dû concevoir une taxe qui s'écartait de la matière imposable déjà occupée par le législateur fédéral. La difficulté est toutefois de déterminer cette autre matière imposable, et psychologiquement à l'égard des contribuables concernés, de ne pas s'écarter trop du moment où ils concrétiseront que leur capacité contributive a augmenté.

Ce jeu d'équilibriste a conduit la Région à élaborer une taxe « sur les bénéfices résultant de la planification » due lorsque les conditions suivantes sont cumulativement réunies :

1°une parcelle ou partie de parcelle bénéficie d'une ou plusieurs « modifications de destination » à la suite de l'élaboration ou de la révision de tout ou partie du plan de secteur ;

2° une des opérations suivantes est réalisée :

- le redevable transmet un droit réel se rapportant à cette parcelle ou partie de parcelle par acte authentique et à titre onéreux ;

- cette parcelle ou partie de parcelle fait l'objet en dernier ressort administratif d'un permis qui n'aurait pu être obtenu avant l'élaboration ou la révision du plan de secteur.

Le CoDT liste limitativement les modifications de destination visées. Il ne s'agit que de modifications de zonage. On observera que n'est pas visée une modification d'une zone réellement non destinée à l'urbanisation en zone d'extraction. Ceci a conduit le Conseil d'État à s'interroger sur la conformité de cette liste avec le principe d'égalité et de non-discrimination. Il se pourrait bien que ceci ruine en réalité complètement le principe même de la taxe...

Quelques exonérations sont prévues. Parmi celles-ci, épinglons celles dont profitent les biens propriété de la Région wallonne, des provinces, des communes, des régies communales autonomes, des intercommunales et des établissements publics et organismes habilités par la loi ou le décret à exproprier pour cause d'utilité publique. De même restent exonérées les modifications de destination qui concernent une parcelle ou partie de parcelle de moins de 200 m2. Est également exonérée la parcelle, sur laquelle est située le jour avant l'entrée en vigueur du plan de secteur une habitation non conforme à la destination de la zone, dont l'existence est légale et qui est encore habitée, et qui reçoit une destination résidentielle en conséquence du plan.

Le montant de la taxe est déterminé au départ d'un bénéfice brut forfaitaire déterminé par mètre carré par le CoDT pour chaque type de modification de zonage. De ce bénéfice brut forfaitaire, des frais fixés à 50% sont déduits. Le bénéfice net est alors frappé d'un taux progressif par tranche (de 1% à 30%). Le taux de 30% est atteint pour les bénéfices nets de plus de 500 000 €.

À titre d'exemple, un terrain de 1 000 m2 qui passe de zone agricole à zone d'habitat est présumé conduire à un bénéfice brut de 47,53 € par m2, soit un bénéfice net de 23,77 € par m2. Ceci conduit donc à un bénéfice net taxable total de 23 770 €. Un taux de 1% s'applique à la première tranche jusque 12 500 € (soit 125 €), et de 2% sur la tranche jusque 23 770 € (soit 225,40 €). Le montant total de la taxe due à l'occasion de la transmission à titre onéreux du droit réel ou à l'obtention d'un permis s'élèvera donc à 350,40 €.

Le redevable de la taxe est la personne qui est propriétaire ou nu-propriétaire du bien au moment de l'entrée en vigueur du plan de secteur. S'il y a plusieurs personnes redevables, elles sont solidairement responsables du paiement de la taxe des bénéfices résultant de la planification.

Enfin, en vue d'assurer l'effectivité de la taxe, le CoDT prévoit la création d'un registre des bénéfices fonciers, oblige les notaires à informer le fonctionnaire taxateur de la passation d'actes authentiques qui rendent la taxe exigible, de même qu'oblige les autorités qui délivrent les permis qui rendent la taxe exigible d'en informer le même fonctionnaire.

La taxe régionale ne s'applique qu'aux élaborations et révisions de plans de secteur dont le projet a été adopté par le Gouvernement wallon après le 1er juin 2017.

Xavier Thiebaut
Avocat au barreau de Liège (Bours & Associés)
Maître de conférences ULiège - Hec (Tax Institute)